Relier deux mondes qui s'ignorent

Le projet de réinsertion - Le Delancey Street Restaurant à San Francisco - est né en 1971 grâce à John Maher,un ancien enfant alcoolique et héroïnomane américain. C'est un projet de réhabilitation pour donner une seconde chance aux oubliés et délinquants. Dans la salle, uniquement des prisonniers qui terminent leur peine comme serveurs, cuisiniers, maîtres d’hôtel. Ils ont appris un nouveau métier. Ils réapprennent la confiance. Ils réapprennent à être humains, tout simplement. La réalité de Delancey Street Restaurant montre que c’est une utopie on ne peut plus réelle. Le quartier entier de Delancey, qui refusait au départ le pro-jet, s’en est trouvé lui-même transformé. Les préjugés et croyances sur les prisonniers ont reculé. Une démonstration vivante de la puissance de la volonté de croire en regard de la volonté de douter.

Le Delancey Street Restaurant
Récit de vie - Au cœur du miracle de la vie

Je suis à San Francisco depuis près d’une semaine. Vingt-cinq petites minutes séparent Alcatraz de la baie de San Francisco et du pont du Golden Gate. Vingt-cinq petites minutes pour arriver sur un gros caillou. Vingt-cinq petites minutes pour découvrir l’enfer.

« Enfreins les règles et tu iras en prison, enfreins les règles de la prison et tu iras à Alcatraz (1)».

Pendant plus d’une heure, me voici plongée dans l’univers carcéral d’Alcatraz. J’entends les voix des prisonniers et celles des gardiens. Les hurlements dans la cuisine pour protester contre la lassitude des repas. Je regarde fascinée ces dessins et ces peintures, ces instruments de musique qui m’indiquent que les habitants de ces minuscules cellules étaient encore bien des hommes avec un cœur et des émotions. Dehors, un violent orage s’en mêle, comme si je devais vivre le pire pour comprendre le pire... Mais je suis en Amérique. Les écouteurs me disent de m’asseoir. La visite est terminée. Je peux enfin sortir respirer à l’air libre. Et là, est-ce un miracle de la vie? Dehors, le plus beau des arcs-en-ciel m’accueille, immense et radieux. Un arc-en-ciel qui relie la prison à la baie, la mort à la vie, le désespoir à l’espoir et deux mondes qui s’ignorent.

Synchronicité... Des amis veulent me faire découvrir le jour-même le Delancey Street Restaurant. La chance fait bien les choses, ils ont plus d’une heure de retard. J’aurais pu passer une soirée «normale » à discuter avec eux. J’ai pu « vivre ce restaurant », un projet de réhabilitation pour donner une seconde chance aux oubliés et délinquants. Dans la salle, uniquement des prisonniers qui terminent leur peine comme serveurs, cuisiniers, maîtres d’hôtel. Ils ont appris un nouveau métier. Ils ont réappris la confiance. Ils ont réappris à être humains, tout simplement.

Un jeune serveur m’apporte un vin californien, entame la conversation avec beaucoup de simplicité. Je suis frappée par sa finesse, son aisance à la fois naturelle et réservée. Et tous mes préjugés et vieux schémas tombent soudain! Ai-je bien devant moi un prisonnier? Et parce que ce jeune homme m’a mise en confiance, qu’il est allé vers moi, je vais vers lui et lui pose à mon tour des questions. Plus personnelles. Combien de fois les clients lui ont-ils demandé son parcours de vie ? Combien de fois avec patience et tranquillité l’a-t-il expliqué? Je découvre un jeune homme qui a des rêves, qui a choisi ce programme de réinsertion pour ses deux dernières années de prison. Qui a appris le métier de serveur et fait en parallèle des études dans le bâtiment. Quand il sera enfin libre, il veut être – et sera –, responsable de chantier. Je prends conscience que ce restaurant est tout sauf un restaurant, c’est avant tout un merveilleux projet pour lier et relier les hommes dans leur différence, au-delà des épreuves et des chutes. Il a fallu beaucoup d’amour de l’autre et de la vie pour le mettre en place et inventer un autre monde. Tout s’est inversé ce soir-là. Jamais je n’oublierai cette expérience.


Ce projet de réinsertion est né en 1971 grâce à John Maher (2),un ancien enfant alcoolique et héroïnomane américain... qui un jour a certainement écouté la vie qui voulait être vécue en lui. Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part (3).

En lisant Humanité. Une histoire optimiste de Rutger Bregman bien des années plus tard, j’ai pu mettre des mots sur cette expérience inoubliable. Les chercheurs nomment ce type de prisons, des prisons «non complémentaires », c’est-à-dire des prisons où les surveillants ne reproduisent pas le comportement des prisonniers. Loin d’être enfermés, les prisonniers doivent faire fonctionner leur communauté, sur le principe de la sécurité dynamique – par opposition à la sécurité statique derrière les barreaux. La prison est faite pour préparer au maximum les détenus à la vie de tous les jours. Certains pourraient parler d’utopie en évoquant l’expérience menée à San Francisco. La réalité de Delancey Street Restaurant montre que c’est une utopie on ne peut plus réelle. Le quartier entier de Delancey, qui refusait au départ le projet, s’en est trouvé lui-même transformé. Les préjugés et croyances sur les prisonniers ont reculé. Une démonstration vivante de la puissance de la volonté de croire en regard de la volonté de douter.

  1. Phrase qui accueillait les prisonniers à l’entrée de la prison d'Alcatraz.
  2. John MAHER est le fondateur de la Delancey Street Foundation, une organisation à but non lucratif qui fournit des services de réadaptation résidentielle et une formation professionnelle pour toxicomanes et criminels condamnés. Il a inspiré deux livres et un film. 
  3. SAINT EXUPÉRY (A.) (de), Le Petit Prince, 1943.

Extrait tiré du livre

Créer Révéler Inspirer le héros qui est en vous - Fleurke Combier, Éditions Mardaga, mars 2022

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